Débats et réflexions

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mercredi, octobre 18, 2006

10 après, "jusqu'ici tout va bien" ?

1995, Mathieu Kassovitz réalise "La haine", cri de détresse sur l'aversion que se porte toujours plus jeunes et policiers. 2006, les banlieues s'embrasent. Est-il légitime, voire tout simplement sensé, de questionner Kassovitz sur ces émeutes, comme nombre de médias l'ont fait ? Au-delà, quel parallèle peut-on établir entre octobre/novembre 2006 et "La haine" ? 10 après, "jusqu'ici tout va bien" ?

Jamais il n’avait eu autant de demandes d’interviews. 10 après, c’est presque une consécration. La consécration de "La haine", la fiction cinématographique, et l’apothéose de la haine, la réalité brûlante. Octobre/novembre 2005, les "émeutes de banlieues" font rage. Matthieu Kassovitz, réalisateur du film "La haine", est submergé de sollicitations. Il les refuse toutes, arguant que ne pouvant répondre à la totalité, il ne répondra à aucune. Seul commentaire du réalisateur à propos des émeutes, une réponse à une lettre de ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, considéré par beaucoup, dont Matthieu Kassovitz, comme responsable de l’embrasement.

Retour en arrière. 1995. Cette année-là, Jacques Chirac gagne la présidentielle sur le thème de la "fracture sociale". Il triomphera à nouveau en 2002 en misant en grande partie sur l’insécurité. Mais c’est Jean-Marie Le Pen qui profitera le plus de cette thématique, issant le FN au second tour de l’élection suprême pour la première fois de son histoire. Jacques Chirac l’emporte, grâce à l’action anti-Le Pen et toujours, en arrière-fond, l’insécurité.

1995, Kassovitz réalise son film, cri de détresse sur la haine enflammant nombre de policiers et de jeunes. 2002, Chirac tire parti, indirectement, de l’insécurité. Un train de retard, en somme. Car si on fait fi des divergences sémantiques, le résultat est le même. La haine, l’insécurité. L’un est la cause, l’autre la conséquence. La haine en 1995, l’insécurité en 2002, il manquait un maillon pour que la chaîne soit bouclée. 2005, des milliers de voitures brûlées.

Le film part d’un fait réel : un "jeune Zaïrois" (Makome) prend une balle dans la tête. Le tireur : un inspecteur de police. La situation : un interrogatoire pendant une garde à vue. L'élément déclencheur : la haine. L’épine dorsale du film sera l’incompréhension suivie de l’interrogation de Kassovitz après ce drame : "Comment peut-on arriver à ce niveau d'engrenage ?" se demande en effet le jeune réalisateur (27 ans), soulignant l’escalade de haine réciproque entre le policier et le jeune.

Matthieu Kassovitz cherche donc la cause du drame, mais ne la trouve pas. "La haine" raconte l’escalade, mais n’en n’explique pas les racines profondes. Pour autant, est-ce son but ? Le réalisateur, affirmant qu’il voulait représenter "un maximum d'histoires et un maximum de gens", explique son choix d’intégrer "3 mecs d'origines différentes". Son credo étant de traiter large, il ne fallait pas aborder "une cité particulière ou un problème de la police avec les arabes ou avec les noirs, mais un problème beaucoup plus large". Un récit donc, pas une explication. Ou à court terme.

"La haine en 1995, l’insécurité en 2002, il manquait un maillon pour que la chaîne soit bouclée. 2005, des milliers de voitures brûlées"


Prémonitoire ? Là non plus, ça n’était pas le but. Mais force est de constater que la cause des émeutes de octobre/novembre 2006 et celle de "La haine" sont d’une troublante similitude. Dans la fiction, un blessé grave qui mourra à la fin du film. Dans la réalité, deux morts et un blessé grave avant les émeutes de 2005.

Quel parallèle établir entre "La haine" et ces émeutes ? La presse avait-elle raison de solliciter Kassovitz ? A l’évidence, non. Un clip de rap a été ressorti des cartons car les paroles affirmaient "qu’est-ce qu’on attend pour tout brûler ?". Kassovitz a été sollicité car son film rencontra un grand succès et évoquait les émeutes en banlieues, mais 10 ans avant. Seulement, 10 après, la réalité n’est plus la même. Kassovitz est un cinéaste, pas un devin ni un chercheur. Les rappeurs dudit clip, pas plus. Ces sont simplement, cinéaste ou rappeurs, des artistes qui se sont exprimés sur un situation donnée à une date donnée. Leurs demander des explications sur ces émeutes, ou même juste leur demander ce qu’ils en pensent, est du dilettantisme osé, voire ridicule.

Néanmoins, un parallélisme peut-être tenté si il n’a pas pour but d’obtenir l’avis du réalisateur, mais uniquement la finalité de comparer "La haine" à la réalité. Le film de Matthieu Kassovitz étant d’une remarquable qualité, il peut prétendre à cet exercice.

Finalement, "jusqu’ici (2006) tout va bien" ? Les émeutes d’octobre/novembre nous incitent à répondre par la négative. La politique de M. Sarkozy, qu’on la juge bonne ou mauvaise, a exacerbé la haine des jeunes banlieusards en particulier, et des jeunes en général. Une autre raison d’être pessimiste. L’augmentation récente des violences contre les personnes en général, et contre les policiers en particulier, pousse là encore au défaitisme. "Ici", "tout" ne va plus aussi "bien" donc ? D’après Mathieu Kassovitz, la frontière entre la "bonne" et la "mauvaise" situation est manifestée par la mort. La mort d’un policier. "Les flics, des armes, ils en ont, les jeunes, des armes, ils en ont. Mais pour l’instant, ceux qui sont sages ce sont les jeunes qui ne s’en servent pas encore" explique Kassovitz.

Selon Kassovitz donc, du moins d’après la définition qu’il faisait voilà 10 ans de cette frontière qui ferait basculer la "société qui tombe" au crash éminemment douloureux, tout va bien. Si on applique ce raisonnement, le jour où un policier mourra, la société sera tombée à son niveau le plus bas. Problème : quand on touche le fond, on ne peut que remonter. Ici, ce n’est pas le cas. Un policier mort, la psychose atteindra sûrement son apothéose dans les rangs des forces de l’ordre. Immanquablement viendra une tension accrue, voire un désir de vengeance.

La frontière entre la "bonne" et "mauvaise" situation est donc une fuite en avant. Inatteignable puisque chaque fois qu’on l’approche, elle s’éloigne. En un mot, il y a toujours pire. On ne peut donc pas se contenter de la situation actuelle en se rassurant : "jusqu’ici tout va bien". Le pire, c’est maintenant. Mais cela peut devenir encore pire. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Mathieu Kassovitz ne peut être mis en cause puisque son film avait déjà pour but de sonner le tocsin. Et aujourd’hui, le tocsin sonne toujours.