Débats et réflexions

Bienvenue. Les articles de ce blog sont classés en deux catégories : une première traitant directement l'actualité (débat) et une deuxième concernant les articles traitant de sujets plus intemporels (réflexion). Le but étant de vous faire réagir, n'hésitez pas à mettre un commentaire sur les articles qui vous intéressent.

mercredi, février 14, 2007

Economistes, garde-fous de campagne

La campagne est lancée. Il est nécessaire, maintenant que les programmes de droite et de gauche sont connus, de s’intéresser au financement des engagements. Les économistes sont des éléments perturbateurs indispensables à cette campagne. Ils ont le devoir de nous éclairer, compte tenu de leur savoir que les Français n’ont pas.

La campagne a commencé. On l’attendait, Ségolène l’a lancée. 11 février, Royal discourait pour sa vie… politique. Côté éditorialistes, chroniqueurs et autres journalistes politiques, la prestation est jugée réussie. Mais côté économistes, inquiétudes tous azimuts. S'ils se trompent régulièrement dans leurs prévisions, les économistes gardent un savoir que les Français n'ont pas. A ce titre, ils se doivent d’harceler les candidats. Ce sont les garde-fous de nos prétendants à la fonction suprême, si prompts à énoncer des litanies de propositions ambitieuses, mais peu enclins à en expliquer le financement…

Jusqu’ici, le pari avait été gagnant à chaque fois puisque les propositions étaient financées, une fois l’heureux gagnant au pouvoir, par de l’endettement accru… Pas intégralement, mais via une part non négligeable. Aujourd’hui, alors que le problème de la dette a été rendu publique, qu’il est sur toutes les lèvres des Français, il va falloir rivaliser d’ingéniosité pour financer ces ambitieux programmes sans faire de l’endettement. Car, rappelons-le, la dette publique française se chiffre à 1200 milliards d’euros. 1200 milliards. C’est mieux en le disant deux fois. Où peut-être ainsi, ce sera plus percutant : 1200 000 000 000 d’euros. Brrr... Voilà qui fait froid au portefeuille.

Sarkozy où Royal, le problème est le même. Elie Cohen, économiste, juge les deux programmes "indifféremment irresponsables". Christophe Barbier, journaliste politique, se demande lui, au sujet de Royal, "où est le mode d'emploi ?". Voilà en effet les deux questions fondamentales : combien et comment ? Cette campagne, les Français (d'après les sondages) la juge "mauvaise". Comment s'en étonner ? Dicter une myriade d'engagements sans en expliquer le financement, c'est prendre les Français pour des idiots grandioses, drogués aux chèques… en blanc. Comme le dit Cohen, "croyez-vous que les Français sont assez naïfs pour croire que les problèmes peuvent être réglés à coup de chèques ?", sur un ton qui en dit long sur son exaspération.

"Dicter une myriade d'engagements sans en expliquer le financement, c'est prendre les Français pour des drogués aux chèques… en blanc."

Il y a bien Bayrou, dans les hommes qui compteront en avril 2007, qui, à défaut de chiffrer son programme, jure de ne rien promettre d'intenable. "Pas de miroirs aux alouettes" comme le souligne joliment Barbier. Mais on attend malgré tout, en dépit de cette promesse qui nous lie inéluctablement et uniquement à sa probité, un chiffrage précis. De son côté, Le Pen, qui sera sans doute également dans le carré de tête d'Avril, ne souffre d'aucun questionnement sur le financement de son programme. Certainement outrés par l'arriération de son programme économique, les économistes ne jugent même pas utile d'inspecter en profondeur...

Parce que nous, la génération des enfants des "soixante-huitards", devrons payer ce gigantesque fardeau de la dette publique française, parce qu’il convient de stopper au plus vie l’hémorragie pharaonique de nos finances, parce qu’il est nécessaire de ne plus prendre les Français pour des crétins, parce qu’il est indispensable de pouvoir être éclairé par des spécialistes, et parce qu’il est fondamental, enfin, qu’il y ait de sérieux garde-fous face à nos "Mr (et désormais Mme) mitraillette" comme le dit Eric le Boucher, journaliste économique, en comparant les kyrielles de propositions de nos candidats à des tirs en rafales, il est primordial que nos économistes nationaux décortiquent et fassent jour des paradoxes et des impossibilités éventuelles (probables ?) de financement des engagements pris.

Si les économistes ne valent donc rien pour les prévisions, ils sont malgré tout indispensables pour éclairer notre futur... Et à ce jour, on n’a trouvé aucun meilleur moyen de faire payer les candidats honteusement fantaisistes que par un billet qui ne tombe que tous les 5 ans, pour tous celui-là, chômeurs, SDF, assujettis à l’ISF. Une paye qui ne tombe que tous les 5 ans, dépensons-la avec discernement. Le bulletin de vote.

dimanche, février 11, 2007

Français expatrié, salaud, le peuple aura ta peau !

Toute à sa panique avec les sondages qui dévissent, la gauche cherche dans l’improvisation des solutions pour tenter d’inverser la vapeur. La désignation de boucs émissaires étant une constante en politique, pas seulement à gauche, nous venons donc d’assister, avec les propositions fiscales du PS, à un numéro de démagogie qui n’a pas tout à fait eu la publicité qu’il méritait.

Parmi les options offertes à la gauche en cas de nécessité de remobiliser les troupes, il y en a une classique qui ne coûte pas cher même si son efficacité reste très largement à prouver : le retour aux bonnes vieilles diatribes contre ces salauds de riches - ou supposés tels, comme cela va être le cas ici -, le capitalisme, les profiteurs, les méchants patrons etc., etc. Pourtant, au sein de ces élucubrations qui sentent le renfermé depuis un bon moment, un éléphant appelé à la rescousse, envers qui l’auteur de ces lignes avait pourtant une grande estime, nous a apporté une perle, de même qu’une cible, entièrement nouvelle et qui n’est pas passée inaperçue de la cible concernée, mais un peu plus du grand public. Je souhaitais donc réparer cette injustice.

Jugez plutôt : parmi sa palette de recommandations en matière fiscale, DSK, ancien ministre de l’Economie et des Finances de surcroît, propose la création d’un “impôt citoyen” visant les Français qui “délocalisent leur argent a l’étranger” et qui auraient tendance à “se désintéresser de leur pays à partir du moment où ils délocalisent ou se délocalisent”. Cet impôt ne concernera pas uniquement les grandes fortunes à la Johnny puisqu’il est précisé qu’il touchera chaque Français de l’Etranger “en fonction de ses capacités contributives” (le principe de l’impôt sur le revenu quoi !); tout le monde sera donc concerné. Au-delà du caractère profondément injuste de la mesure, on peut de toute façon dire qu’il s’agit d’un tempête dans un verre d’eau puisqu’elle est administrativement et même légalement inapplicable. Mais le simple fait qu’elle soit proposée pour le programme d’un candidat, fût-ce pour la galerie, est un nouvel exemple, si besoin était, de la propension de cette gauche à stigmatiser des catégories de population responsables de tous les maux et dont ils ne connaissent, pour la catégorie visée par cette proposition, rien des réalités et des problématiques.

Premier élément déclencheur du drame : évidemment, le raffut hallucinant provoqué par le passage de la frontière Suisse de Mr. Smet avec ses millions. Comme si les douces stations helvètes n’étaient pas déjà remplies de fortunes exilées (Alain Delon et d’autres) pour lesquelles personne n’a poussé les hauts cris, mais quand on tient une icône sur laquelle faire son beurre, ce serait dommage de s’en priver. Mais la n’est pas le plus grave : les répercussions de cette affaire sur les expatriés induites par l’exploitation de ce non évènement ont été dévastatrices. Désormais, tenez-le vous pour dit, bonnes gens : tous les Français de l’étranger s’appellent Johnny, gagnent 8 millions d’euros par an et ne sont que des petits vilains et traîtres à la nation qui emportent leurs sous à l’abri du système qui les a éduqués et nourris. Inutile évidemment de dire qu’il y a plus de 2 millions de Français expatriés (DSK s’est-il demandé pourquoi ?) et que s’ils roulaient tous en Ferrari, ça se saurait. Les expatriés qui rament sont bien plus nombreux que ceux qui pètent dans la soie, mais qui s’intéresse à la réalité de toute façon. Quand on peut tenter de rassembler sur le dos d’une catégorie qui n’a pas les moyens de se défendre, étant par définition éparpillée aux quatre coins du monde et donc peu audible dans l’hexagone, faut pas se gêner ! Mais après cette mise au point sur ces méthodes pitoyables, concentrons-nous de façon plus objective et technique sur l’inanité de cette mesure.

D’abord, DSK n’est pas sans savoir que la France a, avec un certain nombre de pays (et bien sûr les pays où les Français sont les plus nombreux), des conventions fiscales conçues justement pour éviter ce qu’on appelle la double imposition. En vertu des ces accords, un Français qui perçoit son revenu dans son pays d’accueil se verra imposé dans son pays d’accueil et uniquement dans celui-ci. Un panachage a lieu s’il perçoit une partie de ses revenus en France et l’autre dans son pays d’accueil. S’il perçoit l’intégralité de ses revenus en France, il est imposé uniquement en France. La mise en place de la mesure DSK nécessiterait donc de s’asseoir sur ces accords, et comme ces derniers sont évidemment réciproques, vous imaginez bien que les pays concernés ne l’entendraient pas tout à fait de cette oreille. Il faudrait donc en renégocier l’intégralité, pays par pays, pour qu’un Français travaillant sous contrat local et percevant son salaire dans le pays d’accueil puisse se voir infliger une double imposition. Bon courage pour pouvoir faire accepter cette mesure de manière uniforme pour des accords bilatéraux qui ont chacun leur spécificité.

Mais cette mesure aurait également pour effet de rendre obligatoire - ce qui ne l’est pas aujourd’hui - l’inscription des Français de l’étranger au consulat de France de leur terre d’accueil. Mesure bien évidemment impossible à mettre en œuvre ; qui va aller pister les nouveaux arrivants afin de les forcer à faire cette inscription ? On va envoyer un flic accompagner chaque neo-expatrié ? On va instituer l’établissement de listes de Français prenant l’avion et les transmettre aux consulats pour qu’à leur descente, des fonctionnaires consulaires viennent les choper par la peau des fesses ? Il est impossible de contrôler où va et ce que fait un Français à l’étranger, sauf à mettre en place un système Big Brother en violation complète avec la liberté de circulation des citoyens. L’établissement d’une surveillance intégrale des Français de l’étranger, de toute façon techniquement infaisable, serait immédiatement blackboulé par un truc qui s’appelle le conseil constitutionnel.

Qui plus est, il faut savoir - et encore une fois, DSK le sait parfaitement - que le fait de gagner sa vie a l’étranger et donc de ne plus avoir a payer d’impôt en France n’est pas gratuit. En échange de ce choix, le citoyen se voit, et c’est parfaitement logique, perdre l’intégralité de ses droits aux prestations sociales françaises. Vous rentrez en vacances en France et souhaitez vous prémunir contre les risques d’accident ? Oubliez la sécu, vous n’y avez plus droit, il faut souscrire une assurance privée. Vous souhaitez inscrire vos enfants dans l’école française de votre ville afin qu’ils soient élevés en partie dans l’esprit de la République même en grandissant loin d’elle ? OK mais pour ça vous avez intérêt a avoir un portefeuille en béton arme : à Tokyo, où votre serviteur a sévi quelques temps, l’inscription coûte 10 000 euros par an et par enfant, ceci n’incluant pas les fournitures, la cantine, etc. La gratuite scolaire des écoles publiques françaises, oubliez. Vous souhaitez cotiser à une caisse de retraite française pour ne pas perdre vos droits en France tout en bossant à l’étranger ? C’est possible mais il vous faudra acquitter et la part du salarié et la part de l’employeur, autant dire un sacre paquet que peu peuvent se permettre.

Encore une fois, toutes ces pertes de droits sont normales ; si on choisit de ne plus rien devoir à la France, celle-ci ne nous doit plus rien non plus. Mais qu’en est-il si l’on nous impose une taxe alors qu’on ne reçoit rien ? Si je ne m’abuse, l’impôt est conçu comme une participation au bon fonctionnement de la société, en échange duquel chacun a droit aux prestations sociales - santé, éducation - du pays concerné. Or évidemment, aucune mention de cela dans le projet DSK. A moins qu’il n’ait fait une faute d’étourderie, il souhaite donc taxer ces salauds de Français de l’étranger qui ne donnent plus leurs sous à la mère patrie tout en continuant de leur refuser les avantages accordés en contrepartie de l’impôt.

Si DSK avait prévu de mettre en place ce système en accordant un minimum de droits en retour, ne serait-ce que par l’instauration d’un tarif préférentiel pour l’inscription dans les écoles françaises ou l’accès au moins partiel, pour les soins mineurs, à la sécu lors des séjours en France, alors il aurait été cohérent et même aurait fait montre d’un réelle volonté de rassemblement par l’instauration de véritables liens concrets entre les Français de l’étranger et leur pays, par intérêt commun. Au lieu de ça, il encourage la division et contribue à monter des catégories les unes contre les autres en pointant du doigt des citoyens supposes profiteurs, qui en réalité ne profitent de rien du tout, et qui méritent bien qu’on leur prenne leur pognon puisqu’ils sont tous des planques de la solidarité nationale. Ainsi désignés à la vindicte populaire, les expatriés ne voteront sûrement pas PS ; mais quelle importance, puisque peu d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales et parmi ceux qui y sont, la majorité vote à droite… Donc on s’en fout hein ? Ah ça ira ça ira ça ira, les expatriés à la lanterne…

Signé : un ex-français de l’étranger bien placé pour savoir que ces derniers sont loin de tous gagner des millions, et qu’ils mériteraient même une petite prime pour défendre la réputation d’un pays dont nos dirigeants renvoient, avec tant de consistance, une image rabougrie, archaïque et débilitante.

Par Gildas Lagues